Un nouvel outil pour façonner l’ADN
« Les progrès scientifiques dépendent de nouvelles techniques, de nouvelles découvertes et de nouvelles idées, et probablement dans cet ordre. »
Cette citation de Sydney Brenner, Prix Nobel de physiologie en 2002, trouve un écho particulier dans une révolution technique qu’est en train de connaître la génétique. Il s’agit de modifier sur commande et avec une grande précision le génome de n’importe quel organisme.
Classiquement, c’est en mutant artificiellement un gène (en changeant des lettres dans sa séquence d’ADN) que les généticiens étudient sa fonction. A l’inverse, l’un des objectifs de la thérapie génique est de réparer les séquences d’ADN porteuses de mutations responsables de pathologies. Ces manipulations génétiques, rendues possibles chez quelques organismes modèles, restent néanmoins complexes et lourdes à mettre en œuvre, et sont souvent imprécises. Cette situation est en train de changer radicalement et l’origine de ces progrès est pour le moins inattendue.
Modifier une séquence d’ADN s’apparente à monter un film. Lors du montage, on coupe, on retranche, on insère, et on raboute des morceaux de pellicule. Pour l’ADN, les outils de montage sont des enzymes qui coupent dans la séquence comme des ciseaux coupent la pellicule ; et d’autres enzymes qui réparent les coupures, soit en raboutant, soit en insérant un fragment d’ADN-rustine contenant les modifications de séquences désirées. Nombre de ces enzymes qui permettent des couper-coller moléculaires proviennent des systèmes de réparation de l’ADN qui existent chez tous les organismes. Cependant, l’une des principales difficultés de l’édition génomique est de cibler précisément l’action des ciseaux moléculaires. En effet, si les coupures sont imprécises, elles induisent des modifications indésirables du génome.
Comme souvent, c’est en détournant un système naturel, un mécanisme de défense immunitaire des bactéries, que des généticiens sont parvenus à diriger l’action des ciseaux moléculaires. Infectées par un virus, les bactéries incorporent dans leur propre génome un petit morceau d’ADN du virus. Cette séquence d’ADN, appelée CRISPR, sert de vaccin contre le virus qu’elles ont rencontré. Les bactéries la reconnaissent lors d’une nouvelle infection et ciblent la destruction de la séquence de virus correspondante à l’aide d’un enzyme-ciseaux spécifique.
Plusieurs équipes de généticiens ont adapté ce système pour modifier le génome de n’importe quel organisme, simplement en fournissant trois composants : une séquence de type CRISPR qui indique où couper dans le génome, l’enzyme-ciseaux guidé par le CRISPR, et un morceau d’ADN-rustine, porteur des modifications à introduire. Une fois l’ADN coupé, il est réparé par la machinerie cellulaire en introduisant l’ADN-rustine et donc les modifications de séquence souhaitées.
Cette approche permet non seulement de modifier un génome à la lettre d’ADN près, mais surtout les changements ne se cantonnent plus au cercle restreint des espèces modèles. On peut désormais éditer les génomes de quantité d’organismes, y compris celui de cellules humaines, avec une précision et une efficacité déconcertantes. Nul doute que Sydney Brenner verrait dans cette nouvelle technique la promesse de nouvelles découvertes fondamentales et appliquées, qui conduiront à de nouvelles idées.
Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 18 décembre 2013