Quelle part d’humanité dans la levure ?
A première vue, tout sépare la levure de l’homme. Ce modeste champignon unicellulaire, dont on se sert pour faire du pain ou de la bière, ne rivalise pas avec la multitude de nos types cellulaires (neurones, muscles, etc.). Ces deux espèces possèdent cependant un grand nombre de gènes similaires. Mieux, nombre de ces gènes peuvent être remplacés dans le génome de la levure par leurs équivalents humains, et fonctionner parfaitement. C’est ce que révèle une étude de l’équipe d’Edward Marcotte, de l’université du Texas, publiée le 22 mai dans la revue Science.
Fondamentalement, une levure est une cellule comme une autre : elle respire, se divise, métabolise des sucres, réplique son ADN, exprime ses gènes, bref, elle vit sa vie de cellule. Pour réaliser toutes ces fonc tions de base, elle utilise des centaines de gènes. On retrouve ces gènes indispensables au fonctionnement d’une cellule dans le génome de très nombreux organismes, y compris celui de l’homme. Depuis la séparation, il y a un milliard d’années, des deux lignées évolutives auxquelles ces espèces appartiennent, ces gènes ont accumulé des différences au gré des mutations aléatoires. Leurs séquences restent cependant comparables, si bien qu’on compte environ 2 000 homologues entre les 21 000 gènes du génome humain et les 6 000 gènes de la levure.
Que les séquences de gènes de levure et d’humain se ressemblent, c’est une chose, mais ces gènes ont-ils conservé la même fonction ? Pour répondre à cette question, l’équipe d’Edward Marcotte a remplacé un à un 500 gènes essentiels de levure par leurs homologues humains. Puis les chercheurs ont observé comment ces levures au génome partiellement «humanisé » réagissaient à ces modifications. Dans 40 % des remplacements, les levures se portent comme un charme ! Aucun effet n’est détectable en laboratoire sur leur croissance ni leur survie. Cela démontre l’équivalence fonctionnelle de ces gènes en dépit des divergences de séquences accumulées en un milliard d’années. C’est un peu comme si on remplaçait les roulements à billes d’un patin à roulettes par ceux d’une formule 1, sans modifier le fonctionnement du patin.
Pourquoi ce résultat estil intéressant ? Parce qu’il renforce par son ampleur l’idée que l’on peut utiliser un système expérimental aussi pratique que la levure pour étudier des processus biologiques qui concernent l’homme. On ne parle pas de soigner la maladie d’Alzheimer chez la levure, mais plutôt d’étudier les processus biologiques universels que sont les grandes fonctions biochimiques cellulaires. Certains de ces processus étant par ailleurs en jeu dans des maladies comme celle d’Alzheimer.
Plus généralement, l’étude souligne la pertinence de celle portant sur des organismes dits modèles pour aborder des phénomènes biologiques complexes, communs à de nombreuses espèces. Ces organismes modèles ont été choisis et développés comme systèmes expérimentaux pour leur relative simplicité d’emploi : on peut réaliser avec eux des expériences qu’on ne saurait mettre en œuvre aussi facilement sur une autre es pèce, en particulier l’homme. A l’heure où la société et le Parlement européen rediscutent de l’utilité des modèles animaux, il est important de rappeler l’universalité des mécanismes au cœur du vivant, même au-delà des animaux, et l’apport essentiel de ces modèles.
Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 24 juin 2015