Pleistocene Park
Si la résurrection de dinosaures à partir d’ADN trouvé dans un moustique fossilisé dans l’ambre relève de la sciencefiction, l’idée de faire parler l’ADN d’espèces éteintes n’est pas absurde. Pour tout dire, on dispose aujourd’hui de la technologie non seulement pour séquencer l’ADN contenu dans des fossiles, mais aussi pour comparer la fonction des gènes en tre des espèces éteintes et leurs proches cousines vivan tes. Cela permet de revisiter l’histoire d’espèces éteintes et leur évolution génétique. Dans cet esprit, une étude publiée le 14 juillet dans Cell Reports, qui fut menée par les équipes de Vincent Lynch et Webb Miller (universités de Chicago et de Pennsylvanie), éclaire d’un jour nouveau l’adaptation des mammouths au climat arctique.
Les mammouths, véritables icônes du pléistocène, le dernier âge de glace, avaient développé un cortège d’adaptations au froid arctique (– 30 °C à – 50 °C), comme un manteau de graisse, une épaisse fourrure lai neuse, un cycle circadien modifié, ou encore un métabolisme propre aux espèces arctiques. Des adaptations d’autant plus frappantes que leurs plus proches cousins, les éléphants, vivent sous des climats tropicaux. Afin d’identifier les bases génétiques de l’adaptation des mammouths, les équipes de Lynch et Miller ont séquencé les génomes de deux mammouths, préservés dans la glace depuis 20000 et 60000 ans. Puis ils les ont comparés aux génomes des éléphants d’Asie et d’Afrique. Vaste tâche ! Le défi consiste en effet à séparer le bon grain de l’ivraie parmi les 1,4 million de différen ces de séquences qui distinguent les éléphants des mammouths. C’est-à-dire à identifier les mutations qui ont réellement contribué à l’adaptation des mammouths dans un océan de différences accessoires.
Comme dans une enquête policière, il faut d’abord mettre au jour les changements génétiques les plus suspects, puis tenter de les confondre en testant leurs effets. Pour cela, les généticiens ont utilisé une méthode d’annotation des génomes qui associe à chaque gène des mots-clés décrivant une fonction. Cela permet d’analyser quels mots, et donc quelles fonctions biologiques, sont surreprésentés parmi les gènes modifiés de mammouths. Cette analyse globale révèle que les gènes de mammouths impliqués dans le métabolisme des lipides, les rythmes circadiens et la perception de la température ont accumulé plus de mutations que les autres gènes.
Pour dépasser ces corrélations, les chercheurs ont ensuite voulu tester les conséquences fonctionnelles de certaines différences génétiques. Intrigués par les changements accumulés dans des gènes codants pour des récepteurs thermiques, qui perçoivent la température extérieure, ils ont «ressuscité» la séquence d’un de ces gènes de mammouth et l’ont introduite dans des cellules en culture. Ils ont fait de même avec le gène d’éléphant. Les chercheurs ont alors observé que le récepteur thermique de mammouth était moins sensible au froid que celui de l’éléphant. Autrement dit, une désensibilisation génétique au froid a permis aux mammouths de s’adapter au climat arctique.
En combinant approches génomique et expérimentale, ces travaux permettent de proposer et tester des hypothèses sur les origines génétiques de l’adaptation environnementale d’espèces disparues, et ainsi d’éclairer l’histoire de ces espèces.
Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 16 septembre 2015