Le Monde – Nous sommes tous des mutants

Nous sommes tous des mutants

Le mot mutation, dans le contexte de la génétique, est généralement connoté de façon négative car il est souvent annonciateur de mauvaises nouvelles : handicap, tare, maladie… Pourtant sans mutations, point de salut pour le vivant ! En effet, si les mutations génétiques peuvent effectivement être à l’origine de nombreuses pathologies, elles sont également la source de l’évolution des espèces car elles modifient, au fil des générations, les caractères qui permettent aux organismes de s’adapter aux changements environnementaux.

Les mutations surviennent essentiellement lorsque les cellules dupliquent leurs molécules d’ADN, avant de se diviser. La machinerie biologique qui effectue la copie des lettres qui composent l’ADN commet de temps en temps des fautes de frappe, introduisant au hasard des changements de lettres. Ces erreurs sont rares mais néanmoins suffisamment fréquentes pour que chaque individu d’une espèce soit porteur d’une combinaison unique de variations génétiques, des fautes de frappes dans l’ADN accumulées au cours des générations et brassées dans les populations. Ainsi, dans l’espèce humaine le taux moyen de divergence génétique entre deux individus pris au hasard est de 0,1%, soit pas moins de 30 millions de lettres différentes. Nous sommes donc tous mutants ! Ou, plus exactement, nous sommes tous des variants génétiques.

 Les conséquences des mutations peuvent être bénéfiques, neutres ou délétères, pour la survie et la reproduction des individus. Mais ces conséquences peuvent varier en fonction du contexte. Un exemple remarquable de l’importance du contexte pour juger de la valeur d’une mutation est celui de l’anémie falciforme. Cette maladie est due à des mutations dans le gène de l’hémoglobine (Hb), exprimé dans les globules rouges. Chez les individus dont les deux copies du gène Hb (une maternelle, une paternelle) sont mutées, les globules rouges adoptent une forme de faucille, ce qui les rend non fonctionnels et provoque une anémie. Cependant, lorsqu’une seule des deux copies du gène Hb est mutée et que l’autre est intacte, les individus ne sont pas malades. Mieux, ces individus sont protégés du paludisme, dû à l’infection par le parasite Plasmodium. En Afrique centrale et de l’ouest en particulier, où la présence du parasite est importante, les individus porteurs d’une copie mutée du gène Hb sont donc avantagés. Il en résulte que des mutations dans Hb sont plus fréquentes dans les populations de ces régions que dans le reste du monde.

Au-delà d’illustrer de quelle manière les interactions avec des agents pathogènes façonnent l’évolution de nos gènes, cet exemple montre l’ambivalence des mutations, qui ne sont pour la plupart ni bonnes ni mauvaises en soi, mais dont les effets se mesurent dans un contexte donné. Il est vraisemblable que la plupart des variations génétiques dans les populations sont neutres au regard de l’évolution et que ces variations –dans leur majorité – sont à l’origine de caractéristiques qui ne font pas de leurs porteurs des malades mais simplement des individus différents des autres. Les différences génétiques ne sont pas des tares pour la grande majorité d’entre elles, bien au contraire elles constituent une richesse biologique pour une espèce et un réservoir de potentialités pour inventer l’avenir.

Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 13 avril 2013