Le Monde – Les fruits de l’amour chez M. et Mme Mouche

Les fruits de l’amour chez M. et Mme Mouche

Une bonne odeur de cuisine aiguise l’appétit, un parfum sensuel peut pousser à déclarer sa flamme. Les odeurs qui nous entourent font partie des signaux que nous percevons et qui influencent nos comportements. Chez les animaux, la communication chimique au travers des odeurs joue un rôle prépondérant, encore plus que chez l’homme, dans le déclenchement de comportements sexuels ou de défense comme la fuite ou l’agressivité face à une menace. Nous en faisons tous l’expérience, mais la façon dont ces odeurs sont perçues et interprétées par le cerveau pour se traduire par un changement d’attitude reste mystérieuse.

En étudiant de petites mouches, des drosophiles si chères aux généticiens, l’équipe de Richard Benton de l’université de Lausanne (Suisse) révèle, dans la revue Nature du 13 octobre, comment certaines odeurs de fruits favorisent le déclenchement du comportement sexuel des mâles. Chez beaucoup d’insectes, les mâles localisent les femelles, même à grande distance, grâce aux phéromones volatiles qu’elles produisent. Chez les drosophiles, mâles et femelles se rencontrent sur les fruits en décomposition, dont ils se nourrissent, et qui servent également de substrat pour la ponte des œufs et le développement des larves. L’équipe lausannoise vient d’identifier qu’un récepteur olfactif (IR84a) est impliqué dans le comportement de parade sexuelle du mâle et est activé non pas par des phéromones femelles, mais par des composés aromatiques provenant des fruits.

Comment une odeur de fruit peut-elle pousser M. Mouche à déclarer sa flamme à Mme Mouche? Ces chercheurs ont ainsi mis en évidence que le récepteur IR84a est présent dans une population de neurones olfactifs qui participent à un circuit neuronal spécifiquement dédié au comportement sexuel du mâle. En décrivant le circuit neuronal auquel appartiennent ces neurones olfactifs, les scientifiques ont observé qu’il se connecte à un centre du cerveau où converge aussi le circuit véhiculant les informations relatives aux odeurs émises par les femelles. L’intégration de ces deux informations (ressources nutritives et phéromones femelles) se fait dans ce centre cérébral et conduit à la décision de passer ou non à l’acte.

Mais pourquoi le mâle drosophile se soucierait-il de l’abondance de nourriture avant de courtiser Madame? On peut imaginer que c’est une façon de choisir l’environnement dans lequel sa progéniture va pouvoir se développer. Les femelles, et pas seulement chez les drosophiles, choisissent méticuleusement leur site de ponte, et généralement les mâles n’ont pas voix au chapitre. Ici, si les ressources nutritives sont limitées, et même si les femelles l’excitent, le mâle drosophile peut choisir de courtiser d’autres femelles qui sont à proximité de ressources plus riches, augmentant ainsi les chances de survie de sa descendance. Belle innovation évolutive !

Il est amusant de noter que ces mêmes composés aromatiques qui excitent les neurones des mâles drosophiles agrémentent bien des produits cosmétiques féminins, auxquels ils donnent leur odeur douce et sucrée. De là à penser que le cerveau des hommes intègre ces phéromones de substitution de la même manière que les drosophiles, il n’y a qu’un pas… mais un fossé pour les neurobiologistes.

Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 26 novembre 2011