Le Monde – Les débuts buissonnants de l’évolution humaine

Les débuts buissonnants de l’évolution humaine

Chose vue au gré du tourisme estival : un tee-shirt arborant la célèbre série de transitions, du singe marchant à quatre pattes à l’homme se redressant progressivement, pour finir avec l’homme moderne, recroquevillé sur son ordinateur. Cette représentation linéaire de l’évolution est solidement ancrée dans les esprits.

Pourtant, si l’homme descend du singe, ce n’est pas en suivant un tracé direct. Comme pour toutes les espèces, l’histoire évolutive conduisant à notre propre espèce fut sinueuse et arborescente, parsemée, au cours des millions d’années, d’ancêtres et de cousins aux formes et aux mœurs variées. La plupart des membres de cette famille ont disparu sans laisser de descendants actuels. C’est aux paléoanthropologues qu’il incombe, à travers la description de fossiles, d’établir l’arbre généalogique de notre famille et de retracer par là même l’histoire évolutive de notre espèce.

Un nouvel épisode de cette histoire vient d’être ajouté par Meave Leakey et sa fille Louise, membres d’une célèbre dynastie de paléoanthropologues kényans, et leur équipe. Ces chercheurs décrivent, dans la revue Nature du 9 août, de nouveaux fossiles datant de près de 2 millions d’années, qui donnent une image plus complexe de l’origine de la lignée Homo, à laquelle appartient notre espèce, Homo sapiens.

Petit retour en arrière sur nos origines. Les premiers membres de la lignée Homo, dotés d’une grosse boîte crânienne et producteurs d’outils, sont apparus en Afrique il y a entre 2 et 3 millions d’années. La plus vieille espèce bien documentée est Homo habilis (– 2,3 à – 1,4 million d’années). Puis apparaît Homo erectus (– 1,8 million d’années à – 200 000 ans), l’ancêtre direct d’Homo sapiens, apparu, lui, il y a 200 000 ans. Seulement, comme toujours, le scénario se complique lorsque de nouvelles pièces du puzzle font surface.

En 1972, Richard Leakey, le mari de Meave, décrit un fragment de crâne fossile datant de – 2 millions d’années, et donc contemporain d’Homo habilis. Cette nouvelle pièce, au nom poétique de KNM-ER 1470 (ou 1470), jette le trouble. S’agit-il d’un Homo habilis plus grand que les autres ? D’une autre espèce d’Homo ? Peut-être même d’une espèce n’appartenant pas au genre Homo ? La controverse, alimentée par le manque de nouveaux fossiles et l’absence chez 1470 de mâchoire ou de dents, sources de caractères distinctifs, va durer quarante ans.

Les nouveaux fossiles découverts par Meave et Louise Leakey (une face et deux mâchoires inférieures, datant de – 1,7 à – 2 millions d’années) ressemblent à bien des égards à 1470. Surtout, l’espèce à laquelle ils appartiennent se distingue nettement d’Homo habilis. Il y avait donc au moins trois espèces d’Homo cohabitant aux alentours de – 2 millions d’années dans la même région d’Afrique : habilis, erectus, et une troisième espèce.

Quelles sont les relations évolutives entre ces espèces ? Desquelles descendons-nous ? Ces espèces interagissaient-elles et, si oui, comment ? Autant de questions qui trouveront des réponses dans la description de nouveaux fossiles. Une chose est déjà certaine, l’histoire évolutive de la famille Homo, y compris son origine, est plus complexe que ce que les représentations populaires sur des tee-shirts ne le laissent penser.

Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 8 septembre 2012