Le Monde – Le vers nématode, miroir tendu à l’homme

Le vers nématode, miroir tendu à l’homme

On réprime difficilement un sourire devant l’exotisme de certaines des espèces animales étudiées par les biologistes, en particulier les généticiens et les biologistes cellulaires qui s’intéressent au développement embryonnaire. En effet, l’étu- de de petits vers transparents, de mouches des fruits ou de poissons bariolés peut faire passer ces chercheurs pour de sympathiques professeurs Nimbus aux objectifs incertains. Le plus souvent pourtant, ces organismes valent non pas tant pour leur originalité que pour l’universalité de ce qu’ils incarnent.

En recherche expérimentale, et en particulier en génétique, une poignée d’espèces modèles représentent tous les animaux, et permettent d’étudier de manière approfondie divers processus génétiques, cellulaires, ou physiologiques. Chaque animal modèle a ainsi un double statut, celui d’espèce particulière, dont les singularités, aussi étonnantes soient-elles, restent anecdotiques au regard du vivant, et celui d’animal universel permettant d’explorer les rouages du fonctionnement d’un organisme.

Deux critères président au choix d’une espèce modèle : sa facilité d’étude et sa simplicité. Côté pratique, l’espèce doit s’élever aisément en laboratoire et à un coût raisonnable, elle doit se reproduire rapidement et en nombre suffisant. Par ailleurs, on aura d’autant plus de chances de comprendre un processus biologique donné qu’on l’étudiera, au moins initialement, dans sa forme la plus simple. C’est pour cette raison que le système nerveux d’un vers nématode composé de 302 neurones apparaît comme un bon modèle expérimental et un bon point de départ pour comprendre les principes de fonctionnement de cerveaux plus élaborés, comme ceux des mammifères.

Il est admis aujourd’hui que les neurones, pris individuellement ou au sein des circuits complexes qu’ils forment, fonctionnent de manière similaire chez tous les animaux. Le transfert de connaissances d’une espèce modèle aux autres animaux est rendu possible par la parenté évolutive – généalogique – entre ces espèces. Les résultats obtenus sur les espèces modèles les plus simples et faciles à étudier servent souvent d’éclaireurs pour guider les recherches sur les organismes plus complexes, y compris l’humain.

Ce qui est vrai pour les neurones est généralement vrai pour n’importe quel objet ou processus biologique. On peut même recréer chez des espèces modèles des conditions pathologiques humaines et ainsi en étudier les bases moléculaires. On sait par exemple induire des diabètes chez une mouche. Belle affaire qu’une mouche diabétique !

Pourtant, au-delà de leur étude moléculaire, ces modèles permettent de tester des médicaments potentiels à grande échelle. En effet, si on peut tester quelques dizaines de molécules chez la souris, on peut plus facilement, et dans le même laps de temps, en tester des milliers chez la mouche, afin de pré-sélectionner les plus prometteuses et les tester ensuite chez la souris, puis chez l’homme.

Les espèces modèles permettent donc d’étudier de manière expérimentale diverses questions biologiques, des plus fondamentales aux plus appliquées. C’est de la comparaison des résultats obtenus sur plusieurs espèces modèles, chacune apportant un éclairage particulier, qu’émerge peu à peu une compréhension générale des mécanismes du vivant.

Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 10 juillet 2013