Le Monde – L’ADN sauteur du pop-corn

L’ADN sauteur du pop-corn

La domestication est le passage de la forme sauvage d’une espèce animale ou végétale à une forme cultivée. Pour de nombreuses espèces ce processus évolutif, façonné par l’homme, trouve sa source au Néolithique. La domestication entraîne la transformation héréditaire des caractères morphologiques, physiologiques ou comportementaux. Aussi, la comparaison des formes sauvages (ancestrales) et domestiquées (dérivées), et de leurs ADN respectifs fournit-elle une situation unique pour identifier les bases génétiques de l’évolution des caractères. L’évolution du maïs est un cas d’école en la matière.

Le maïs que nous cultivons aujourd’hui est apparu au Mexique il y a près de 10 000 ans, à partir de la téosinte, une graminée sauvage aujourd’hui menacée. Maïs et téosinte présentent des différences anatomiques majeures. Par exemple, la téosinte possède de nombreuses branches latérales portant de petits épis d’une douzaine de grains, alors que le maïs ne développe qu’une ou deux branches latérales dont les épis sont couverts de plus de 300 grains.

Depuis 30 ans le généticien John Doebley, de l’Université de Madison (Etats-Unis) étudie l’évolution du maïs. En 1995, son équipe identifiait un gène, tb1, impliqué dans la différence du nombre de branches entre maïs et téosinte. Le gène tb1 de maïs produit davantage de protéine que son homologue chez la téosinte (on dit qu’il est exprimé plus fortement), ce qui limite le nombre de branches latérales. Comprendre la variation du nombre de branches revient donc à comprendre comment le gène tb1 a changé d’expression. Les chercheurs répondent à cette question dans l’édition de novembre de Nature Genetics en identifiant qu’un transposon est inséré à proximité du gène tb1 de maïs et modifie son niveau d’expression. De quoi s’agit-il ?

Un transposon est un petit fragment d’ADN capable de se dupliquer de façon autonome et de se déplacer physiquement dans le génome. Il en existe de nombreux types, affublés de patronymes imagés tels que tourist, gypsy ou hobo, qui se comportent comme des SPAM moléculaires infectant les génomes : ils constituent 50% de notre génome et 90% de celui du blé ! Un transposon peut accidentellement altérer l’expression des gènes dans le voisinage de son site d’insertion, et ainsi modifier des caractères de l’organisme hôte contrôlés par ces gènes. C’est typiquement ce qui se passe pour le gène tb1 du maïs.

L’étude de Nature Genetics révèle un autre point intéressant concernant l’histoire évolutive de ce transposon: cette insertion à proximité de tb1 existait déjà, mais à faible fréquence, dans les populations de téosinte, 10 000 ans avant le début de la domestication. Ainsi, l’apparition du maïs, en tant qu’événement évolutif, ne résulte pas tant de l’émergence d’une nouveauté génétique que de la sélection, par la main de l’homme, d’un variant génétique –un transposon inséré près de tb1– déjà présent depuis des milliers d’années dans les populations naturelles de téosinte.

Les transposons, ces fragments d’ADN sauteurs, ne sont pas uniquement à l’origine du pop-corn de nos salles de cinéma mais ont également joué un rôle dans la domestication de nombreuses plantes sauvages, donnant naissance par exemple à la tomate et au riz, et d’animaux comme le loup. Ainsi, les transposons constituent à la fois un fardeau génétique pour les génomes et une source de diversification évolutive.

Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 7 janvier 2012