Le Monde – La thèse, diplôme ès qualités

La thèse, diplôme ès qualités

Que revêt donc au juste le titre tant convoité de docteur ès sciences ? Ce diplôme cou­ronne un long parcours universitaire et, pour finir, trois à cinq ans de travaux de re­cherche. Pour chaque thèse, le sujet de ces recherches amuse autant qu’il laisse interdit. Des « Chevaliers­-paysans de l’an mil au lac de Paladru » au « Feuilletages et déformations de surface contenant une coquille sphérique globale », en passant par les «Systèmes microfluidiques sur support souple et éti­rable », les titres de thèse rivalisent dans le rocambo­lesque. Quelle sorte de héros de l’inutile sont donc les auteurs de ces ouvrages ultra-spécialisés, et surtout qu’ont-­ils appris en thèse ?

Il ne faut pas s’y laisser prendre, un travail de thèse n’est pas la simple documentation extrême d’un thème de recherche apparemment farfelu. C’est avant tout l’apprentissage d’une méthode bien rodée d’ana­lyse de problèmes complexes. Cette méthode analyti­que transcende les disciplines scientifiques, et c’est là sa force. Certes, on entreprend une thèse sur un sujet donné – il faut bien un substrat – dont on devient spécialiste. Ce faisant, on apprend à décomposer un problème complexe, à le fragmenter en questions élé­mentaires, originales et pertinentes. Cela signifie que les questions correspondent à des hypothèses testables par l’expérimentation ou par des observations de terrain, que leur formulation au moins est nouvelle, et que les réponses à ces questions ont le potentiel de faire avancer la connaissance.

Pour répondre à ces questions, on apprend aussi à forger et manipuler les outils conceptuels et techni­ques qui permettront de tester les hypothèses formu­lées. Enfin, une fois les résultats expérimentaux col­lectés, leur analyse et leur interprétation conduisent à valider ou rejeter les hypothèses de départ, à considé­rer des alternatives, et à imaginer de nouvelles expé­riences pour les tester. C’est donc un processus itéra­tif d’essais et d’erreurs qui emprunte les chemins en arabesque de la créativité et de l’intuition, mais qui confronte les fruits de l’imagination à la rigueur et à la rationalité.

A la fin de la thèse, si elle est réussie, l’ensemble des observations et des résultats obtenus doit permettre de faire émerger une réponse, même partielle, à la question posée au départ. On se retrouve alors être l’un des meilleurs spécialistes d’un sujet qui n’inté­resse quasiment personne. Mais là n’est pas la ques­tion. Si les détails d’un sujet de recherche sont tou­jours particuliers, la démarche intellectuelle est générale. La formation par la recherche équipe les doctorants d’un ensemble de compétences à haute va­leur ajoutée. Autonomie, créativité, rigueur, résilience face à l’échec, capacité à appréhender et décomposer des phénomènes complexes, à manipuler les con­cepts, comme à mettre les mains dans le cambouis, à synthétiser et communiquer ses résultats, sont autant de qualités qui s’acquièrent durant une thèse.

Loin des stéréotypes de l’ultraspécialisation qui leur colle à la peau (par opposition à la polyvalence des in­génieurs), les docteurs en science disposent d’un éventail de compétences qu’ils pourraient davantage mettre au service de bien des secteurs de la vie éco­nomique, politique, ou de la haute fonction publique. Encore faudrait-­il pour cela que la perception de ce di­plôme par le monde socio­-économique évolue.

Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 19 mai 2015