La recette de la souris papa poule
Chez la plupart des animaux, les soins apportés à la progéniture incombent entièrement à la mère. Il y a des exceptions, comme pour environ 10 % des mammifères, où le partage des soins parentaux va de pair avec la monogamie. De nombreux travaux ont déjà établi une contribution majeure de la génétique à ces comportements sociaux complexes (alors que nous les envisageons pour notre espèce surtout sous l’angle culturel). Pour comprendre leur origine, l’équipe d’Hopi Hoekstra, de l’université Harvard (Massachusetts), a cartographié les différences génétiques entre deux espèces de souris dans une étude parue le 27 avril dans la revue Nature.
La souris des sables et sa proche cousine la souris des bois (Peromyscus polionotus et Peromyscus maniculatus pour les intimes) ne traitent pas leurs petits de la même manière. Chez la souris des sables, monogame, les deux parents s’impliquent activement : ils creusent des terriers et construisent des nids, veillent au grain lorsque la progéniture s’aventure hors du nid, participent tous deux à la toilette et se blottissent contre les petits pour les réchauffer. Tout au contraire de la souris des bois, en particulier pour les mâles, plus volages que leurs cousins et très peu impliqués dans les soins à leurs petits.
Si ces deux espèces de souris ne s’accouplent pas dans la nature, on peut cependant les croiser en laboratoire et obtenir une descendance fertile. Ces croisements produisent des hybrides dont le génome est une mosaïque de celui des deux espèces et dont les comportements avec leurs petits peuvent être évalués. Une aubaine pour identifier les gènes à l’origine des différences entre ces espèces ! En effet, l’étude d’un nombre suffisamment important d’hybrides permet d’identifier quels gènes, provenant de la souris des sables ou des bois, sont associés aux différences de soins parentaux.
L’équipe de Harvard a produit et étudié 769 souris hybrides dont les comportements parentaux balayent un large spectre entre ceux des deux Peromyscus. L’analyse des résultats donne à réfléchir sur les bases génétiques d’un comportement. D’abord, pas moins d’une douzaine de gènes contribuent aux différences de comportement, ce qui signifie que le gène du «bon parent» n’existe pas. Ce sont plutôt de petites variations des mêmes gènes qui en s’additionnant expliquent les différences entre espèces dans les soins aux jeunes. Certains de ces gènes contribuent de façon similaire aux variations de comportement des deux parents, alors que d’autres ont un effet spécifique sur les comportements du père ou ceux de la mère. Ceci suggère que les mécanismes à l’origine des comportements parentaux sont en partie distincts dans les deux sexes. Enfin, l’analyse a mis en évidence que certains gènes agissent de manière générale sur les soins parentaux, tandis que d’autres agissent sur un comportement particulier, comme la construction du nid.
Les différences génétiques détectées entre espèces se répercutent sur la construction ou le fonctionnement du cerveau. Par exemple, les chercheurs ont identifié que le gène responsable de la synthèse de la vasopressine, une hormone produite dans l’hypothalamus, contribue aux variations de motivation des souris à construire un nid.
Le débat sur l’origine des comportements sociaux, en particulier chez l’humain, est souvent polarisé entre le «tout génétique» et le «tout culturel», avec les conséquences politiques que l’on sait. Cette étude éclaire la complexité génétique des variations de comportements innés, loin des clichés et des raccourcis. Comprendre comment ces variations génétiques interagissent avec les apprentissages pour façonner les comportements reste un autre enjeu majeur.
Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 11 mai 2017