Le Monde – Ce que révèle la paléogénétique des momies

Ce que révèle la paléogénétique des momies

La phylogenèse permet de reconstruire l’histoire biologique de populations ou d’espèces. Dans sa version moléculaire, elle exploite les variations de séquences d’ADN des organismes pour en déduire leurs relations de parenté et leurs origines. A cette approche fondée sur les organismes actuels vient s’ajouter depuis une vingtaine d’années l’étude des séquences d’ADN d’organismes disparus depuis des dizaines, voire des centaines de milliers d’années. L’analyse des ADN anciens, extraits de fossiles précisément datés, ouvre ainsi une fenêtre moléculaire pour lire le passé. Encore faut-il que les échantillons fossiles contiennent de l’ADN bien préservé et pas trop contaminé par d’autres ADN (bactéries, expérimentateurs).

L’ADN de fossiles humains est l’objet de beaucoup de convoitises des paléogénéticiens. Curieusement, l’extraction d’ADN ancien des hommes de Neandertal ou de Denisova a moins résisté que d’autres fossiles, plus jeunes mais tout aussi fascinants : les momies égyptiennes. Annoncée à plusieurs reprises, l’extraction d’ADN de momies est toujours accueillie avec circonspection et doute par la communauté scientifique. Beaucoup la pensaient impossible car les conditions de température et d’humidité dans les tombeaux, ainsi que les produits utilisés pour l’embaumement, concourent à dégrader l’ADN.

Pourtant, une équipe internationale coordonnée par le Max Planck Institute for the Science of Human History (Iéna, Allemagne) a relevé le défi. Cette équipe est parvenue, de façon très convaincante, à extraire et à séquencer de l’ADN de 151 têtes momifiées, essentiellement à partir d’os et de dents. La quantité de séquences varie en fonction des échantillons, mais ces séquences incluent le génome complet de trois individus. Lesrésultats de cette étude sont parus dans la revue Nature Communications du 30 mai.

Ces momies sont toutes originaires du site archéologique d’Abousir Al-Malek, situé en amont du delta du Nil, notamment connu pour son intense activité cultuelle envers Osiris, dieu des morts, et son activité de momification. Les momies couvrent une période allant d’environ 1300 av. J.-C. jusqu’au Ve siècle de notre ère, offrant une unité de lieu et une continuité temporelle unique.

L’analyse génétique de ces momies révèle tout d’abord une grande conservation des séquences au cours de la période échantillonnée. Pourtant, la domination grecque puis romaine sur cette région pendant plus d’un millénaire laissait présager des empreintes plus marquées du génome de ces occupants dans celui des populations autochtones.

Ce travail révèle une autre surprise, une importante disparité entre le génome de ces momies et celui des Egyptiens actuels. Les momies de ce premier millénaire avant notre ère sont génétiquement proches des populations du Proche-Orient, actuelles et anciennes, en particulier celles du bassin Levantin. Les Egyptiens actuels, en revanche, portent davantage d’ADN d’origine subsaharienne. Cet apport génomique serait postérieur à l’ère romaine, qui s’est achevée il y a près de 1500 ans, et pourrait résulter des échanges commerciaux intenses entre l’Afrique subsaharienne et l’Egypte, facilités par le transport le long du Nil.

Les études paléogénétiques se multiplient depuis quelques années et montrent clairement que toutes les populations humaines actuelles sont le fruit demélanges, alimentés au cours de leur histoire par des flux migratoires successifs et incessants. En ces temps de sentiments nationalistes revigorés dans les sociétés occidentales par les mouvements migratoires, la génétique des populations nous rappelle que la préservation d’un prétendu patrimoine génétique «pur» n’est qu’une illusion insensée.

Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 21 juin 2017