Le Monde – Bactéries et cellules règlent leurs comptes

Bactéries et cellules règlent leurs comptes

La flore microbienne, ou microbiote, qui peuple notre corps est l’objet de toutes les attentions depuis quelques années. Tantôt associée à notre bonne santé lorsque ces bac­téries se portent bien, tantôt tenue pour responsable de tous nos maux quand elles sont perturbées (de la prise d’antibiotiques à la maladie de Crohn).Et puis il y a ce chiffre : notre corps contiendrait dix fois plus de bactéries que de cellules humaines. Autrement dit, en termes de cellules, nous serions faits de 90 % de bactéries et seulement de 10 % de nos propres cellu­les! Des proportions vertigineuses, qui suggèrent l’in­fluence profonde du microbiote sur notre physiologie.

Ce ratio de bactéries/cellules humaines, tellement cité qu’il a pris le statut de fait incontesté, vient d’être reconsidéré par des chercheurs israéliens de l’Institut Weizmann. Tout d’abord, ils ont rattaché son origine à une publication de 1972 qui le présentait comme une estimation « à la louche », pour un homme « standard » de 1,70 m et 70 kg. Ensuite, l’équipe israélienne a entrepris de nouvelles estimations du nombre de cellules et de bactéries dans notre corps.

Ces calculs sont parus le 28 janvier dans la revue Cell. Côté cellules humaines, les chercheurs ont compilé les données de nombreuses publications estimant le nombre de cellules des différents tissus qui cons­tituent le corps humain. Il apparaît que la principale contribution en cellules de notre corps se trouve dans le sang, qui compte 89% de nos cellules (84% de globules rouges et 5 % de plaquettes).

Or, les cinq litres de sang qui coulent dans les veines du vulgum pecus contiennent quelque 25 000 mil­liards de globules rouges. A titre de comparaison, les neurones sont 300 fois moins nombreux. Au final, les chercheurs estiment à 30 000 milliards le nombre de nos propres cellules.

Le comptage des bactéries que nous hébergeons né­cessite aussi quelques arrondis. Si elles se distribuent dans l’intestin, dans la bouche, sur les muqueuses et la peau, il est couramment admis que le gros des troupes, 99 %, se loge dans notre côlon.

Aussi, en comptant expérimentalement le nombre de bactéries dans un litre de contenu intestinal, on peut estimer que notre côlon, d’une contenance moyenne de 0,4 litre, abrite environ 40 000 milliards de bactéries. Et ce chiffre correspond peu ou prou au total pour le corps entier.

Fort de ces nouvelles estimations, on peut calculer que le ratio bactéries/cellules humaines est d’environ 1,3 (40 000/30 000 milliards), soit dix fois au­-dessous de ce qui était jusqu’alors admis. Cette révision à la baisse remet-­elle en cause l’importance du micro­biote ? Certainement pas ! Tout d’abord, ce ratio, quelle que soit sa valeur, ne saurait tenir lieu de justification de l’étude de notre flore. Les chercheurs notent, d’ailleurs, d’énormes variations entre individus,
au cours d’une vie, et même dans une journée, où chaque passage aux toilettes nous fait perdre près d’un tiers des bactéries du côlon.

En revanche, cette nouvelle estimation, plus juste sur la taille des populations bactériennes qui nous habitent, fournit un nouveau cadre, plus précis, pour mieux envisager les relations que nous entre­ tenons avec elles. Ce type de travail, qui revisite des « faits » tenus pour acquis, est une étape essentielle du progrès scientifique.