Le Monde – Comment le moustique a pris goût à l’homme

Comment le moustique a pris goût à l’homme

Dans son blog « Passeur de sciences », Pierre Barthélémy soulignait en juillet 2014 qu’avec les 725 000 morts qu’il cause chaque année, le moustique est l’animal le plus dangereux pour l’homme, loin devant loups, requins et serpents qui pourtant alimentent nos fantasmes. Le moustique tue car, en piquant, il injecte dans le sang nombre de virus et autres parasites. Le moustique Aedes aegypti, par exemple, est le vecteur de la fièvre jaune, de la dengue et du chikungunya. Mais tous ne sont pas attirés par l’homme. Comment, alors, un moustique devient­-il assoiffé de sang humain ?

Il existe en Afrique subsaharienne deux populations d’Aedes aegypti. L’une vit en forêt et se nourrit de sang animal. L’autre, dérivée de la première, s’est acclimatée aux villages alentour, où elle se délecte de sang humain. Ces moustiques « domestiques » ont aujourd’hui envahi le monde. Une équipe internatio­nale emmenée par Leslie Vosshall (université Rockefeller, à New York) a découvert que les Aedes aegypti domestiques sont plus sensibles aux odeurs humaines qu’à celles des animaux et a identifié des molécules impliquées dans cette spécialisation. Ces résultats ont été publiés, le 13 novembre 2014, dans la revue Nature. Les animaux détectent les odeurs ambiantes grâce aux neurones olfactifs. Chez les moustiques, comme chez tous les insectes, le « nez » se trouve sur les antennes. Des récepteurs moléculaires présents à la surface des neurones olfactifs y captent les molécules volatiles odorantes. Tel un couple « clé­-serrure » très sélectif, une molécule odorante donnée se fixe sur un récepteur olfactif particulier, ce qui active le neurone qui héberge ce récepteur. Ce neurone envoie un signal au cerveau, déclenchant un comportement précis, par exemple un déplacement vers la source d’odeur, promesse d’un prochain repas. Comme tous les animaux, le moustique est équipé d’une centaine de récepteurs olfactifs, capteurs de la myriade d’odeurs qu’il rencontre dans son environnement.

La comparaison des récepteurs olfactifs entre mous­tiques des forêts et moustiques domestiques révèle que l’un de ces récepteurs, odorant receptor 4 (Or4), a changé entre les deux formes. Il est bien plus abon­dant chez la forme domestique, et sa composition moléculaire – qui détermine les odeurs qu’il détecte – a changé. Ces données ont conduit les chercheurs à penser qu’Or4 était impliqué dans l’attirance des moustiques domestiques pour l’odeur humaine. Mais quel doux parfum de notre peau met en appétit ces nuisibles diptères ? En séparant les diverses molécules qui composent notre odeur, les chercheurs ont déter­miné que le sulcatone, une molécule produite en grande quantité par les humains, stimule particulière­ment le récepteur Or4 des moustiques domestiques. Ces derniers ont donc évolué vers une préférence pour des «déjeuners» humains parce qu’un de leurs récep­teurs olfactifs a changé de composition, au gré de mutations génétiques aléatoires, rendant ce récepteur très sensible à une molécule caractéristique de l’odeur humaine. Si le moustique est le plus grand ennemi de l’homme ce n’est pas parce qu’il « ne peut pas nous sentir », bien au contraire !

Plus généralement, cette étude est l’une des rares qui illustrent par quels types de changements génétiques un comportement inné – une préférence alimentaire – évolue.

Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 7 janvier 2015