Un origami chromosomique
Si l’on connaît les 3 milliards de lettres de notre génome, la manière dont ces 2 mètres d’ADN occupent le minuscule noyau de 10 micromètres de diamètre de chacune de nos cellules reste un mystère. Cet interminable spaghetti est certes découpé en 46 chromosomes qui apparaissent joliment compactés à certains moments de la vie d’une cellule, mais le reste du temps, son organisation dans le noyau est méconnue. L’ADN est-il empaqueté de façon aléatoire, telle une longue corde négligemment jetée dans une malle ? Ou sa compression suit-elle au contraire une organisation régulière ?
Des avancées technologiques récentes de séquençage et d’imagerie, combinées à une puissance de calcul informatique toujours plus grande, permettent de construire une représentation en trois dimensions de l’organisation de l’ADN. Une telle cartographie 3D du génome humain à haute résolution vient d’être publiée aux Etats-Unis par les équipes d’Erez Lieberman Aiden et d’Eric Lander (université Harvard et Baylor College of Medicine) dans le numéro 159 de la revue Cell. Ce puzzle en 3D contribue à modifier en profondeur notre compréhension du génome humain.
On étudie depuis longtemps le génome comme un texte linéaire, contenant des messages indépendants, les gènes, juxtaposés comme les phrases d’un texte. Envisagé en trois dimensions, il offre une lecture différente, mettant en lumière des rapprochements dans l’espace entre des gènes linéairement séparés par de grandes distances. Ces repliements autorisent, favorisent ou au contraire empêchent les interactions entre certaines régions de l’ADN.Ainsi se dessinent au gré de ces plis et ces boucles de différentes tailles, de nombreux domaines chromosomiques, enchâssés les uns dans les autres comme des poupées russes.
Plusieurs surprises émergent de cette nouvelle géographie de notre génome. D’une part, la topologie tridimensionnelle de l’ADN surprend par sa stabilité. En effet, beaucoup de ces boucles, en particulier les plus grandes, sont semblables dans tous nos types cellulaires, à tous les stades de notre vie. Plus surprenant encore, encomparant la topologie de notre ADN à celle d’un autre mammifère, la souris, on retrouve beaucoup de boucles communes. D’autres repliements, formant des boucles plus petites, sont plus labiles, variant entre types cellulaires ou d’un état physiologique à un autre.
Mais la question la plus importante est de comprendre le sens de ces méandres de l’ADN. Ces repliements chromosomiques ont-ils un impact sur le fonctionnement des gènes, ou répondent-ils simplement à une contrainte spatiale d’empaquetage ? Les réponses sont encore fragmentaires tant le domaine est nouveau. On soupçonne depuis longtemps que les interactions chromosomiques à distance jouent un rôle dans l’expression des gènes. Avec cette nouvelle carte topologique, on mesure mieux l’étendue et la quantité de ces interactions, et l’idée que l’architecture chromosomique influence, facilite ou restreint l’expression des gènes s’ancre dans les esprits. Cet origami chromosomique aurait donc un sens fonctionnel, déterminant plus l’expression du génome que son empaquetage optimal.
De façon inattendue, l’étude du fonctionnement des gènes doit donc tenir compte de la topologie du génome, de la même manière que la fonction des protéines ne prend du sens qu’en les étudiant en trois dimensions.
Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 2 avril 2015