Le Monde – La génomique entre chiens et loups

La génomique entre chiens et loups

La domestication d’espèces sauvages, animales et végétales, a constitué une étape majeure dans l’essor des civilisations humaines il y a plus de 10000 ans. Le chien fut probablement la première espèce animale domestiquée, à partir du loup gris. On présume que les hommes ont apprivoisé des louveteaux, les ont élevés et ont fait se reproduire entre eux certains adultes progressivement sélectionnés pour leur docilité, leur obéissance, leurs qualités de gardiens et de compagnons de chasse. La même pression de sélection, maintenue au fil des générations, a stabilisé et renforcé ces caractères comportementaux, et ainsi créé la forme domestiquée du loup gris, le chien. Ce type de sélection n’est possible que pour les caractères héritables (parce qu’ils sont déterminés par des gènes) et variables entre individus (parce que les gènes qui les déterminent existent en plusieurs variétés au sein des espèces). En sélectionnant des individus présentant des comportements particuliers, les hommes préhistoriques ont sélectionné sans le savoir des variétés génétiques particulières à l’origine de ces comportements.

Ces variations génétiques sélectionnées il y à des milliers d’années sont aujourd’hui identifiables : la sélection, qu’elle soit naturelle ou guidée par la main de l’homme dans le cas de la domestication, laisse une marque, une empreinte, dans les génomes des espèces concernées. Grâce aux progrès de la génomique il est désormais possible de déchiffrer entièrement le contenu des génomes et de localiser les gènes sur lesquels la sélection a laissé son empreinte au cours d’un processus évolutif.

Une étude du groupe de K. Lindblad-Toh publiée le 23 janvier dernier sur le site de la revue Nature illustre cette approche. En comparant les génomes du chien et du loup gris, les chercheurs ont identifié deux groupes de gènes qui ont fortement changé chez les chiens. Le premier groupe inclus des gènes impliqués, comme on pouvait s’y attendre, dans le développement du cerveau. L’étude de ces gènes permettra à l’avenir de mieux comprendre comment ils influent sur l’activité des neurones et l’évolution des comportements.

De façon beaucoup plus surprenante, les gènes du deuxième groupe identifié par l’étude interviennent dans la digestion de l’amidon, ce sucre complexe abondant dans les céréales et les féculents. Cette découverte inattendue suggère un scénario inédit des premières étapes de la domestication du loup : attirés par les restes des repas des hommes, riches en amidon, les loups les plus à même de digérer ces ressources ont vu leur quête de nourriture facilitée en se rapprochant des hommes. Les hommes ont nourri les loups les plus dociles, les ont apprivoisés, puis domestiqués. Au fil des générations, les individus anthropophiles qui ont été domestiqués sont ceux qui étaient le mieux adaptés, génétiquement parlant, à un régime riche en amidon.

La domestication du chien apparait donc étroitement associée à l’essor de l’agriculture puisque l’accès aux restes de nourriture humaine a fourni à certains loups une nouvelle niche écologique. En sélectionnant, de manière intentionnelle, des loups dociles, les hommes ont également sélectionné, mais de manière fortuite, les individus les plus à même de survivre dans une niche écologique riche en amidon.

Par Nicolas Gompel & Benjamin Prud’homme. Publié dans Le Monde le 2 mars 2013